Lutte biologique et biopesticides

La lutte biologique, appelée aussi contrôle biologique ou biocontrôle, est l’utilisation d’organismes vivants ou de leurs produits pour prévenir ou réduire les dégâts causés par les organismes considérés comme nuisibles tels que les ravageurs des cultures, les vecteurs de maladies, les champignons phytopathogènes, les mauvaises herbes, etc. Basée sur les interactions naturelles qui régissent les relations entre les espèces au sein des écosystèmes (prédation, parasitisme, compétition, allélochimie et interactions chimiques), la lutte biologique vise à réguler les populations d’organismes nuisibles en les maintenant en deçà d’un seuil de nuisibilité acceptable plutôt que de les éradiquer. Il s’agit donc de gérer un équilibre complexe qui dépend, entre autres, de l’écologie des espèces concernées, de la nature du sol, du climat et du paysage.

La lutte biologique peut être utilisée en agriculture, horticulture, foresterie ou santé en remplacement ou complément de la lutte chimique (pesticides de synthèse). Elle est une composante importante de l’agriculture biologique, qui exclut tout intrant chimique, mais aussi de l’agriculture intégrée, qui vise à réduire l’usage des pesticides de synthèse à son strict minimum. Non polluante et souvent très spécifique, la lutte biologique est de plus en plus employée avec succès dans de nombreux pays. Moins simple à mettre en place et plus coûteuse que la lutte chimique, elle n’est pas toujours compatible avec les impératifs de rentabilité à court terme de l’agriculture intensive conventionnelle.

Il existe plusieurs méthodes de lutte biologique. Dans la littérature, on distingue habituellement celles qui ont recours à des organismes vivants dits «auxiliaires» (définition stricte) et celles qui n’ont pas recours à des auxiliaires (définition large). Avec le développement du marché des produits biologiques, le concept de lutte biologique a tendance à s’élargir à toutes les méthodes de lutte qui ne sont pas issues de la chimie de synthèse. Cette définition large de la lutte biologique ne fait pas l’unanimité chez les spécialistes.

Auxiliaires de la lutte biologique

Au sens strict, la lutte biologique a recours à des auxiliaires ou agents de lutte biologique, c'est-à-dire à des ennemis naturels des organismes nuisibles. Ils sont très diversifiés et peuvent être des prédateurs (insectes, arachnides, nématodes, vertébrés), des parasitoïdes (insectes parasites qui tuent leur hôte), des pathogènes ou des compétiteurs (bactéries, champignons, protozoaires, virus). Les auxiliaires peuvent être divisés en deux catégories :
  • la faune auxiliaire qui comprend essentiellement des entomophages, soit des insectes prédateurs (coccinelles, carabes, syrphes, chrysopes, punaises) ou parasitoïdes (trichogrammes, ichmeunons, tachinides), des acariens et des nématodes et aussi quelques phytophages ou granivores qui consomment des mauvaises herbes;
  • les microorganismes auxiliaires pathogènes tels que des bactéries, comme Bacillus thuringiensis, des champignons et des virus; dans ce cas, on parlera de lutte microbiologique et de biopesticides microbiens.
Les agents de lutte biologique sont des auxiliaires des cultures au même titre que les abeilles et les pollinisateurs qui contribuent à la reproduction des plantes; offrant de nombreux services aux agriculteurs, ils sont considérés comme des «organismes utiles» ou «bénéfiques». Ils participent ainsi à la régulation naturelle des populations d'organismes nuisibles. Plusieurs d’entre eux peuvent aussi être élevés afin d’être utilisés comme des pesticides biologiques ou biopesticides, en particulier les coccinelles prédatrices, les microguêpes parasitoïdes, les nématodes entomophages et les microorganismes auxiliaires (bactéries, virus, champignons).

L’utilisation des auxiliaires peut se faire selon trois stratégies bien distinctes :
  • par acclimatation d’auxiliaires exotiques
  • par augmentation des auxiliaires existants
  • par conservation des auxiliaires existants

 

Lutte biologique par acclimatation

La lutte biologique par acclimatation vise à introduire et installer de façon durable un ou plusieurs auxiliaires exogènes dans un milieu colonisé par un organisme nuisible, généralement lui-même exotique; cette méthode est particulièrement utilisée contre les espèces exotiques envahissantes (invasives), y compris les «mauvaises herbes», qui menacent les agrosystèmes, les milieux naturels ou la santé publique. Cette méthode est généralement pratiquée à grande échelle dans le cadre de programmes nationaux ou régionaux supervisés par des organismes de recherche. Elle exige beaucoup de recherche. Il est important de tenir compte des risques d’effets écologiques non intentionnels comme le passage des espèces introduites sur d’autres espèces ou leur prolifération incontrôlée au détriment des espèces indigènes.

Le premier essai de lutte par acclimatation a été réalisé en 1889 par Charles Valentine Riley qui introduisit dans les vergers d'agrumes californien la coccinelle australienne Rodilia cardinalis pour lutter conte la cochenille invasive Ircerya purchasi, elle même originaire d'Australie.

Lutte biologique par augmentation


La lutte biologique par augmentation ou par inondation consiste à renforcer les populations d’auxiliaires présents dans le milieu, par des lâchers ponctuels et localisés (inocculatifs) ou massifs et répétés (inondatifs), selon les besoins. La lutte inondative, qui s’apparente à la lutte chimique, vise à contrôler rapidement les populations de nuisibles.

Elle est particulièrement utilisée avec les guêpes parasitoïdes, les nématodes entomophages et surtout les microorganismes (bactéries, champignons, virus). Les auxiliaires sont multipliés en masse en insectarium ou en fermenteur selon le cas, commercialisés et utilisés en tant que pesticides biologiques ou biopesticides. Cette méthode est particulièrement utilisée en maraîchage, dans les cultures sous serre et en foresterie mais aussi santé publique pour lutter contre certains vecteurs de maladies.

Lutte biologique par conservation


La lutte biologique par conservation ou préservation (sous entendu de la biodiversité) consiste à favoriser la présence des ennemis naturels indigènes des ravageurs par différentes pratiques culturales comme la plantation de bandes herbeuses ou fleuries intercalées dans les cultures, la restauration de haies arbustives, l’aménagement d’autres zones refuges autour des cultures (talus, murets, mares, friches) et les cultures associées de plusieurs espèces végétales sur une même parcelle (compagnonnage végétal).

Par exemple, de nombreuses plantes à fleurs peuvent être plantées pour attirer spécifiquement les auxiliaires indigènes en leur offrant abris ou nourriture pendant une partie de leur cycle de développement. Une autre technique dite du push-pull (repousser-attirer) à introduire dans les cultures des plantes répulsives pour un ravageur et à la lisière de ces cultures des plantes qui l’attirent et le piègent. De bonnes pratiques culturales au niveau du sol, par exemple en réduisant les travaux profonds, sont aussi essentielles pour maintenir sa biodiversité et la microflore auxiliaire; certains des microorganismes du sol protègent les plantes contre les maladies en produisant des antibiotiques ou fongicides naturels ou en stimulant les défenses naturelles des plantes. Des lâchers inoculatifs peuvent être effectués à titre de renforcement de la faune auxiliaire indigène.

Sans aucuns risques écologiques, la lutte biologique par conservation, qui est parfois qualifiée de lutte écologique par certains auteurs, repose à la fois sur les savoirs paysans et la compréhension scientifique des équilibres écologiques. Pilier de l’agroécologie et de la permaculture, elle est aussi employée en agriculture intégrée et en agriculture biologique. Le maintien des équilibres au sein de l’agrosystème implique généralement de ne pas recourir aux pesticides qui éliminent les auxiliaires et la microflore du sol.

Lutte biologique sans auxiliaires
D’autres formes de lutte biologique ne font pas appel à des organismes auxiliaires mais à des molécules ou substances organiques naturelles, à des mâles stériles ou encore à des variétés de plantes résistantes. L’appartenance ou non de ces méthodes à la lutte biologique fait l'objet de débats. Certaines d’entre elles peuvent avoir des effets négatifs sur l'environnement y compris la faune auxiliaire.

Très répandu, l'usage de molécules ou substances biologiques toxiques pour les bioagresseurs est similaire à la lutte chimique. Parmi ces composés issus du métabolisme secondaire, on trouve principalement des insecticides phytochimiques (pyréthrines, nicotine, ryanodine) et des toxines bactériennes. Biodégradables, ces biopesticides sont moins persistants dans l'environnement que les pesticides de synthèse, mais certains d'entre eux, comme la nicotine, sont tout aussi dangereux pour la faune et les humains, et peuvent induire des résistances. Les huiles végétales, les huiles essentielles de plantes ainsi que divers extraits végétaux bruts comme les purins sont aussi exploités pour leur diverses propriétés, insecticides, fongicides, répulsives ou antiappétantes. Ces substances offrent l'avantage d'avoir des modes d'action multiples ce qui peut retarder l'apparition des phénomènes de résistance et, pour certaines d'entre elles, de stimuler les défenses naturelles des plantes.

Autres molécules naturelles, les phéromones d’insectes sont des molécules sémiochimiques qui permettent aux individus d’une même espèce de communiquer à distance. Produites en très petites quantités par les insectes, ces molécules olfactives jouent un rôle dans l’alarme des individus, le traçage de pistes, le marquage de nids, l’agrégation ou l’attraction sexuelle. Par exemple, les phéromones sexuelles sont émises dans l’air par les femelles pour attirer les mâles qui les détectent reconnaissent grâce à des sensilles olfactives localisées sur leurs antennes. En protection des cultures, les phéromones servent à détecter les ravageurs et à surveiller leur nombre, à les piéger en masse ou à les désorienter par confusion sexuelle.
La lutte par confusion sexuelle consiste à diffuser dans l’air des phéromones sexuelles à des concentrations élevées afin de désorienter les adultes des espèces ciblées et d’empêcher leur accouplement. Ce moyen de lutte est surtout utilisé contre des lépidoptères, par exemple, le carpocapse des pommes et des poires et la tordeuse orientale.
Les phéromones d’insecte ne sont pas toxiques et n’agissent que sur le comportement des espèces visées. Toutefois, certains pièges à phéromones peuvent être associés à des substances insecticides comme des pyréthrines naturelles ou des pyréthrinoïdes de synthèse. Il est à noter que, pour des raisons pratiques de disponibilité, cette méthode emploie le plus souvent des phéromones de synthèse identiques à celles produites naturellement mais néanmoins issues de l’industrie chimique.

Parmi les autres molécules d'origine végétale, animale ou microbienne qui présentent un intérêt en lutte biologique, on peut citer, d'une part, celles qui attirent la faune auxiliaire soit les kairomones produites par certains ravageurs ou les synomones produites par les plantes et, d'autre part, les éliciteurs qui stimulent les défenses naturelles des plantes. Plusieurs de ces molécules font l'objet de recherches afin de développer de nouveaux biopesticides.

La lutte autocide consiste à lâcher des mâles stériles d’un ravageur ou vecteur donné afin de limiter sa reproduction et sa descendance; les mâles sont généralement stérilisés par irradiation et relâchés à grande échelle et de façon répétée sur plusieurs générations afin de conduire au déclin de la population, voir à son éradication totale. Elle ne peut être efficace que si la femelle de l’espèce ciblée ne s’accouple qu’une seule fois (ou un petit nombre de fois seulement). Cette méthode sophistiquée et assez onéreuse est mise en application à grande échelle et supervisée par des agences gouvernementales. La lutte autocide a été employée avec succès dans plusieurs pays contre la lucilie bouchère (Cochliomyia hominivorax), une mouche dont l’asticot provoque des myases chez le bétail, diverses mouches des fruits et certaines glossines dont la mouche tsé-tsé. Par contre, son utilisation sur certains moustiques vecteurs s’est révélée plus difficile en raison, d’une part, des densités de population élevées et, d’autre part, des pertes de leur capacité sexuelle et de leur compétitivité par rapport aux mâles naturels. Récemment, des moustiques anophèles stériles génétiquement modifiés ont été relâchés à grande échelle au Brésil pour lutter contre la dengue.

Plusieurs autres moyens de lutte qui n’appartiennent pas à la lutte biologique permettent aussi de remplacer ou de réduire l’usage des pesticides de synthèse. On peut citer, entres autres, les pratiques culturales comme la rotation des cultures ou leur irrigation contrôlée et la lutte physique comme le désherbage manuel ou encore l’utilisation de filets protecteurs. L’ensemble de ces méthodes sont aussi mises en œuvre en agriculture intégrée.

Biopesticides
Historiquement associé au concept de lutte biologique et à la manipulation des auxiliaires, la notion de biopesticide s'est étendue avec le temps aux pesticides organiques d'origine naturelle. Dans la littérature, il en existe plusieurs définitions qui sont parfois contradictoires. Au sens le plus large, les biopesticides peuvent être définis comme des pesticides qui contiennent des organismes vivants ou des substances naturelles produites par ces derniers. Sous cette définition générale, on trouvera donc :
  • les arthropodes (insectes, acariens) et nématodes auxiliaires
  • les microorganismes auxiliaires (bactéries, virus, champignons) trouvés à l’état naturel ou génétiquement modifiés, appelés aussi, pesticides microbiens;
  • les molécules et substances pesticides d’origine naturelle, appelées aussi pesticides biochimiques (insecticides et extraits végétaux, toxines et métabolites bactériens, etc.);
  • les phéromones d’insecte et les autres molécules sémiochimiques (kairomones, synomones), appelées aussi médiateurs chimiques; 
  • et, dans certains pays comme aux Etats-Unis, les molécules pesticides produites par les plantes transgéniques (PGM); la désignation de ces molécules sous le terme biopesticide reste très controversée, particulièrement en Europe.
Dans une acceptation commune plus restrictive, on réserve généralement le terme de biopesticide aux microorganismes auxiliaires, y compris les nématodes entomophages, et aux substances naturelles d’origine végétale, animale ou microbienne, y compris les phéromones. Ces dernières sont aussi appelées pesticides biochimiques, pesticides organiques naturels ou biocides inertes. L'utilisation des biopesticides en agriculture ou en lutte antivectorielle est réglementée par les agences gouvernementales.

Ressources externes

Références

Pintureau, Bernard (coordonnateur). La lutte biologique. Application aux arthropodes ravageurs et aux adventices, Ellipses Éditions, Paris (France), 2009

Regnault-Roger, Catherine, Philogène, Bernard JR, Vincent, Charles (coordonnateurs). Biopesticides d'origine végétale, Éditions Tec&Doc, Lavoisier, Paris (France), 2e édition, 2008

Suty, Lydie (coordinatrice). La lutte biologique. Vers de nouveaux équilibres biologiques, Éducagri édi,tions/Éditions Quae, Versailles (France), 2010

Bases de données

Biological Control, A guide to Natural Ennemies in North America (Shelton, Anthony, Cornell University)
http://www.biocontrol.entomology.cornell.edu

Biopesticide and Organic Database for Intergrated Pest Management (The IR-4 Project, Rutgers)
http://www.ir4.rutgers.edu/biopesticides/labeldatabase

Hyperparasites, faune et flore auxiliaires (e-phytia, INRA)
http://ephytia.inra.fr/fr/C/11082/hypp-Hyperparasites-faune-et-flore-auxiliaire

Olivier Peyronnet
Dernière mise à jour : avril 2015

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