mercredi 10 décembre 2025

Les pesticides « fluorés » : une catégorie non officielle, mais de plus en plus discutée

Une classe ou famille de pesticides désigne habituellement un ensemble de molécules partageant une structure chimique proche, un mode d’action similaire ou un spectre d’activité comparable. Les insecticides, par exemple, sont classés en familles telles que les organochlorés, carbamates, pyréthrinoïdes, néonicotinoïdes, etc., chacune définie par une architecture moléculaire ou un mode d’action commun.

Les pesticides fluorés, en revanche, ne forment pas une famille chimique au sens strict. Cette expression désigne simplement des molécules pesticides contenant un ou plusieurs atomes de fluor (F) dans leur structure. On trouve ainsi des pesticides fluorés dans plusieurs familles classiques : pyridines, triazines, benzamides, SDHI, néonicotinoïdes, sulfonylurées, etc. Les pesticides fluorés appartiennent donc à des familles chimiques très différentes et présentent des modes d’action biologiques multiples. 

Parmi les pesticides fluorés, on trouve des herbicides (fluroxypyr, flumioxazine, fluazifop-P-butyl), des insecticides (fipronil, flupyradifurone, fluvalinate) et des fongicides (fluopyram, fludioxonil, fluxapyroxad, fluazinam). Par exemple, le fipronil est un insecticide phénylpyrazole contenant deux groupements –CF₃, le fluvalinate, un pyréthrinoïde acaricide contenant trois atomes de fluor, le fluroxypyr, un herbicide auxinique, dérivé pyridine-carboxylique, contenant un groupe –CF₃. 

Pourquoi ajouter du fluor ?

En chimie organique, l’introduction d’atomes de fluor modifie profondément les propriétés des molécules. Elle peut :

  • augmenter la stabilité chimique et métabolique,
  • accroître la lipophilicité ou la sélectivité,
  • améliorer la diffusion dans les tissus,
  • renforcer l’efficacité biologique.

Ces optimisations expliquent pourquoi l’industrie agrochimique utilise le fluor depuis longtemps, et de plus en plus depuis les années 2000. Plus de la moitié des pesticides récents contiennent désormais au moins un atome de fluor. Toutefois, ces mêmes propriétés rendent souvent les molécules plus persistantes et moins biodégradables, ce qui soulève des inquiétudes environnementales, pour les écosystèmes et les organismes non ciblées, mais aussi des inquiétudes pour la santé humaine..

Liens avec les PFAS : source, précurseurs ou contaminants

Plusieurs pesticides fluorés présentent un autre enjeu majeur : leur relation avec les PFAS (substances per- et polyfluoroalkylées). Cette relation intervient à différents niveaux :

  1. Certaines matières actives sont elles-mêmes des PFAS, car elles possèdent une chaîne perfluorée (–CF₃, –CF₂–).
  2. D'autres pesticides fluorés peuvent se dégrader en composés fluorés persistants, comme le trifluoroacétate (TFA) ou d’autres acides perfluorés.
  3. Des PFAS peuvent aussi être présents dans les formulations commerciales : solvants, surfactants, agents mouillants, stabilisants, adjuvants, ou encore revêtements d’enrobage des semences.

La liaison carbone–fluor (C–F), extrêmement stable, explique la persistance environnementale de ces substances PFAS et leur surnom de « polluants éternels ».

La classification d’un pesticide fluoré comme PFAS dépend de la définition utilisée : certaines conventions et réglementations (OCDE 2021) incluent toutes les substances contenant des motifs –CF₂– ou –CF₃, tandis que d’autres définitions plus strictes (EPA, UE) ne retiennent que les composés perfluoroalkylés (CF₃–(CF₂)ₙ–) qui sont encore beaucoup plus stable et persistants. Ainsi, le statut PFAS peut varier selon les auteurs et les cadres réglementaires.

Les pesticides fluorés, qu’ils soient perfluoroalkylés (comme le fipronil ou le fluazinam) ou polyfluoroalkylés (comme le flumioxazine ou le fluazifop-P-butyl), ainsi que leurs résidus, sont souvent considérés comme des PFAS selon certaines définitions. Très stables et persistants, des traces peuvent être détectées dans les sols, l’eau potable et les aliments.

Pourquoi en parle-t-on davantage ?

Même s’ils ne constituent pas une famille reconnue, les pesticides fluorés sont regroupés de plus en plus souvent dans la littérature scientifique et dans les médias en raison de :

  • leur présence croissante dans les nouvelles générations de pesticides,
  • leur potentiel de persistance et de bioaccumulation,
  • leur rôle possible comme source ou précurseurs de PFAS,
  • et leur risque accru pour les écosystèmes et parfois pour la santé humaine.

En conclusion, les pesticides fluorés ne sont pas une classe chimique homogène, mais une catégorie transversale regroupant tous les pesticides contenant du fluor. Leur développement croissant, leur potentiel de persistance et leurs liens directs ou indirects avec les PFAS expliquent l’intérêt scientifique et médiatique grandissant qu’ils suscitent.


Références pour en savoir plus :

Alexandrino, D. A. M., et al. (2022). Revisiting pesticide pollution: The case of fluorinated pesticides. Environmental Pollution, 292, Part A https://doi.org/10.1016/j.envpol.2021.118315

Donley, N., Cox, C., Bennett, K., Temkin, A. M., Andrews, D. Q., & Naidenko, O. V. (2024). Forever pesticides: A growing source of PFAS contamination in the environment. Environmental Health Perspectives, 132(7) https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/39046250/


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